mercredi 28 août 2013

Note d'intention de réalisation du film "L'instinct de Résistance"

Dans ce film il est question d’un entrelacement de plusieurs voix ; elles répondent aux mêmes questions qui montrent une autre facette de cet instinct de survie que chacun a su construire à sa façon. Des images d’archives (des associations d'anciens déportés, de la fondation pour la Shoah et surtout du film d’Armand Gatti "l’enclos ") seront utilisées pour illustrer et accentuer la véridicité de la parole. Il s’agit donc d’un voyage sur les traces et cauchemars d’expériences de survie dans un monde inimaginable : celui des camps de concentration.
Le film sera constitué d'une suite d'interviews entrelacés de témoins pour mieux montrer la spécificité de chacun.
Il s'agit d'un dispositif filmique , d'une recherche avec la camera d'une voix juste et d'une lumière dans le regard de nos témoins .
Il s'agit de transformer des rencontres exceptionnelles en une leçon de vie et de survie.

Dispositif de réalisation et de montage:

Me basant sur le décryptage des interviews faits avec Serge Silberman je peux imaginer une prévisualisation du dispositif du film.
Le film se divise en 4 parties.
Dès que cela sera nécessaire une voix off présentera le contexte politique de l'époque et des précisions sur la personne qui parle.
La première partie s'axera sur l'histoire personnelle de chacun avant d'être arrêté et déporté.
La deuxième partie s'articule sur les éléments de survie différents pour chacun, tous en leurs laissant la liberté de mettre en lumière l'élément le plus marquant qui frappe toujours leur mémoire.
La troisième partie abordera la libération des camps et la difficulté d'en parler.
La dernière s'articulera sur les traces: un film pour Gatti: des livres pour Daix et Hessel : des films ,dont aucun ne parle des camps, pour Serge Silberman.Ce dernier n'en a jamais parlé avant de mourir, sauf pour ce film.
Les stocks-shots seront utilisés en tant qu'habillage des mots plutôt que dans un but pédagogique  ainsi que pour mettre en avant des visages, des regards pour que la souffrance et l'horreur ne reste pas une notion abstraite.
 Les archives subiront un traitement visuel graphique pour accentuer la notion de temps et donner une matière aux souvenirs de nos héros.
Le passage d'un personnage à l'autre se fera a travers des photos, des lieux, d'un camps à l'autre.Le présent n'existera qu'au moment où il parleront de leur travail, écriture, théâtre, film, activité politique et cela à la fin du film.
Je vais essayer de faire un montage très subjectif, comme une symphonie  avec   des pianissimo suivi d'une rupture de rythme, me laissant porter par leurs voix.
Les plans seront accompagnés de cassures sonores, d'introduction de poèmes, des arrêts sur les regards, les mains des internés saisis dans les photos d'époque.
Le musicien Jean Louis Valero composera à l'image la musique du film.
Le dispositif de montage ne sera pas là pour mettre en avant la technique du réalisateur mais pour mettre en valeur la voix et le message de ces témoins.



personnages du film


Le plus célèbre, Stéphane Hessel est né à Berlin en 1917.

Résistant lors de la seconde guerre mondiale, il rejoint le Général de Gaulle en 1941.
Il est déporté à Buchenwald et à Dora, camp de concentration dépendant De Buchenwald. Après la guerre, Stéphane Hessel participe à la rédaction de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme en 1948. Il est ambassadeur de France, membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de non-violence. Il soutient, depuis sa création en 2001, le fonds associatif, Non-Violence XXI. Il est grand-officier de la Légion d'honneur et grand-croix de l'Ordre national du mérite. Il a été membre de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, ainsi que du Haut Conseil de la coopération internationale.
« Il faut distinguer les cas, même si les conditions des déportés étaient horribles dans les uns comme dans les autres camps.
A notre question sur l'instinct de survie et sur ce qui l'a aidé a résister, il répond avec un certain humour: "La poésie, elle est ma nécessité. Elle m'a été précieuse aux moments les plus durs de ma vie comme dans les camps de concentration, lorsqu'on dormait à plusieurs sur le même bat-flanc. Réciter un poème m'aidait à rester tranquille, à ne pas gêner mes voisins. Après la guerre, nombreux étaient les déportés atteints d'hypermnésie, de ruminations «hyper mnésiques ». Moi, j'avais des ruminations poétiques.
"A Buchenwald et à Dora, nous étions, en tant que résistants, mal traités,

mal nourris, contraints de travailler durement, mais la mort, si elle était probable, n'était pas programmée comme pour nos camarades qui arrivaient à Auschwitz pour y être exterminés. Notre déportation était une étape dramatique dans la vie d'un combattant qui s'expose en faisant la guerre.
Nos camarades juifs, s'ils étaient des opposants au régime allemand ou de Vichy, n'étaient pas directement dans le combat.
La façon dont ils ont été systématiquement exterminés leur confère un destin spécifique que l'on ne saurait à aucun moment oublier ni minimiser. De même, les récentes déclarations de Jean-Marie Le Pen. Nous, anciens déportés, pensons qu'il est extrêmement grave de minimiser de tels évènements en les comparant avec d'autres évènements désagréables.
Sommes-nous pour autant à un moment où le néonazisme recommence à prendre de l'importance? Etant par nature optimiste, je pense que, si ce phénomène existera toujours, il demeurera marginal. Tout comme l'antisémitisme. Marginal, mais évidemment très grave. L'extermination systématique d'êtres humains telle que l'ont pratiquée les nazis appartient-elle définitivement au passé? Je voudrais le croire ! Je pense que la montée en puissance du droit international, au cours des cinquante années qui ont suivi 1945, rend beaucoup plus invraisemblable, aujourd'hui, de tels évènements. En s'appuyant sur l'horreur du totalitarisme et du nazisme, des instances juridiques ont été créées, des textes comme la Déclaration universelle des droits de l'homme ou la Convention sur le génocide ont été rédigés. Pourtant, n'oublions pas que l'Holocauste est intervenu à un moment de l'Histoire où nous pouvions penser, déjà, que les progrès de l'humanitaire et du droit empêcheraient cette horreur de se produire dans un pays civilisé comme l'Allemagne. Nous n'aurions pas cru cela possible lorsque c'est arrivé; nous risquons de ne pas croire ces horreurs possibles si elles arrivent demain. Il convient d'être vigilant, de dresser l'oreille et d'ouvrir les yeux. " 

                            Armand Gatti

Armand Gatti, homme de théâtre, de cinéma, poète.
C’est un vrai personnage, sa vie a elle seule est déjà un roman.
Fils d’un balayeur anarchiste il s'engage en 1942 dans la résistance et part pour
le maquis. Arrêté en 1943 et condamné à mort, il est finalement déporté en
Allemagne, près de Hambourg, (matricule 17173 à Linderman) d'où il s'évadera.
Il rejoint l'Angleterre, puis participe à la libération.
Il travaille ensuite comme journaliste (il reçoit le prix Albert Londres en 1954),
avant de se consacrer au théâtre. Une partie de son œuvre a pour thème la
Résistance et la déportation.
C’est en camp de concentration que Gatti a eu la révélation du théâtre. Un jour,
il a vu trois rabbins lituaniens jouer une pièce, la plus rudimentaire, mais aussi la
plus essentielle qui soit. Elle tenait en trois phrases: "Ich war, ich bin, ich werde
sein." "J’étais, je suis, je serai."
Elle évoquait d’abord le passé, les pogroms, la diaspora, puis la réalité présente,
celle du camp, et finissait par un futur improbable. Devant ces hommes qui
miment la ronde d’une errance éternelle, Gatti voit l’incroyable se produire: les
prisonniers sourient. Le théâtre permet de remettre en perspective la réalité du
camp. Il réintroduit la possibilité d’une distance -et par là même d’une grandeur,
d’une dignité. Avec cette psalmodie obstinée, les trois prisonniers risquaient leur
vie. Ils ne furent pourtant jamais dénoncés. "De ce théâtre du camp est né tout ce
qui est devenu nécessité d’expression, disait Gatti à Marc Kravetz.

                                Armand Gatti
Gatti est aussi bien  un journaliste, un homme de théâtre, résistant, déporté et anarchiste. Dans sa tumultueuse vie il a croisé sur sa route les Grands qui font une histoire du XXe siècle (Einstein, Mao, Castro, Mussolini, Malraux…). Par son œuvre il se pose comme témoin des luttes du siècle dernier et ses écrits sont le reflet de ce regard. Il intervient comme poète sur le terrain des historiens, comme cinéaste chez les biographe mais il se veut  surtout comme passeur d’histoire. Gatti écrit pour donner vie au personnages, aux situations qu'il extrait de sa mémoire contre oubli.
Son œuvre est engagée et révolutionnaire, son théâtre est celui de la lutte et de la rébellion. Il défends les opprimées car dans lui même vie le jeune résistant de 16 ans et le déporté de 18 ans. L’un des personnages de la pièce V comme Vietnam l’affirme : « Il y a toujours chez l’homme quelque chose qui s’insurge ». Les personnages de Gatti sont hanté par la défaite, par la répression du pouvoir, la haine et la violence. Gatti, s’il est poète et dramaturge a aussi été journaliste. Le journalisme devient une terre d’exil pour l’écriture et n’a cessé de nourrir son œuvre, même après 1959, lorsqu’il met un point final à sa brillante carrière journalistique pour monter ses pièces de théâtre. Selon Armand Gatti poète, l’action et l’écriture constituent un même tissu que traverse la parole orale. Ainsi, sa pièce Le Labyrinthe est une expérience critique concernant la mémoire (des personnages, des mythes, des traditions et de l’histoire). Le débat porte sur ce que doit constituer la mémoire. En 1960, il crée son premier film L’Enclos qui reprend cette thématique. Le noyau dramaturgique est un pari entre des gardiens d’un camp de concentration : Ils enferment dans un enclot un communiste allemand et un juif français. Un seul peut survivre. Qui va tuer l’autre ? Ce film " l'enclos" n'étant pas conforme à la morale de l'époque est refusé à la sélection officielle du festival de Cannes en 1961. Il dérange car il témoigne d’une expérience personnelle qui montre la résistance à l’intérieur d’un camp : le communiste est remplacé par un cadavre pour éviter la lutte des deux hommes et satisfaire la cruauté des gardiens. Le camp de concentration est vu comme un objet de réflexion sur le monde. L’aspect allégorique l’emporte sur la dimension réaliste.
                              Pour Pierre Daix le cas est différent… Autour de ses vingt ans, Pierre Daix a
connu presque toutes les sortes de détention imaginables: le Dépôt de la
préfecture de police, Fresnes, La Santé française et La Santé allemande, le fort
d'Hauteville (près de Dijon), la centrale de Clairvaux, la prison de Blois, le camp
de Royallieu (près de Compiègne), le camp de concentration de Mauthausen.
Comment survit-on quand alentour la mort règne? Comment reste-t-on,
devient-on un militant politique tout en sauvant chaque jour sa peau?
Sur quoi sont fondés les rapports de force: les trafics, les violences, les
humiliations, le sadisme, les privilèges, les signes extérieurs, le
pouvoir sur les autres, la liberté de circulation, la solidarité, etc. Pierre
est un temps affecté à la compagnie pénitentiaire où des détenus sont
condamnés à mourir d'épuisement en portant dans une hotte jusqu'en
haut de l'immense escalier les pierres de la carrière.
Les conditions de la survie. La chance, l'organisation de la résistance intérieure,
l'instinct, le sang-froid. Mais aussi l'adhésion à un idéal fort. Pierre dit que c'est à Mauthausen qu'il est devenu stalinien. « Tout poussait mes camarades
et moi à un tel sentiment de supériorité. Notre vie de tous les jours était héroïque». Le doute est mortel, et la mort est partout. Particulièrement pendant le terrible hiver 44/45 où les cadavres gelés sont entassés jusqu'aux toits tandis que les vents d'Est portent le roulement des canons soviétiques.
Donc presque toute la guerre vécue dans des lieux d'enfermement
A la Libération des camps, héros malgré lui… le Parti le prend en main,
il devient le secrétaire de Charles Tillon puis rédacteur en chef des « Lettres
Françaises », mais c’est dans son dernier livre qu’il raconte d’une façon
humaine son histoire à Mauthausen et comment cela a influencé sa vie. Ce n’est pas par hasard qu’il a aidé a faire sortir et publier les textes de Soljenitsyne sur le goulag ( une journée d’Ivan Denissovitch
)en 1975.
                                            Un block encore intact de Mauthausen.
Pierre Daix, déporté à Mauthausen.
Le soir, je grelottais avec une fièvre de cheval. Un point me tordait le côté droit.
Je crois que j'ai déliré pendant trois jours. Le médecin soviétique me forçait à
avaler une purée d'aspirine avec un peu d'ersatz de thé chaud. Quand j'avais
bien sué et trempé mon châlit et les deux qui l'occupaient avec moi, il me
transportait parmi d'autres, secs et chauds. Et ainsi de suite. J'ai émergé de ma
fièvre un matin au réveil. Je voulus descendre du châlit pour aller pisser, mais
je me suis effondré sous la douleur. J'ai appris à marcher avec mon point de
pleurite, cassé comme un petit vieux et sans souffle. Marteau m'a récupéré dans
son châlit, il m’a donné un peu de sucre de la solidarité. Je venais de franchir
l'anniversaire de mes 22 ans. Arrivé en 1943, tuberculeux, et donc planqué pour
échapper au gazage, Marteau possédait cette pureté d'eau limpide que j'avais
déjà rencontrée chez Christian ou chez Carlo. La jeunesse communiste d'alors
élevait de tels saints laïques, amoureux de la vie, mais capables de s'en priver
pour leur idéal. Par lui, je connus le secrétaire. Il m'expliqua qu'il me garderait
dans mon block jusqu'à ce que les camarades du camps me trouvent un emploi.
Je lui dois ma convalescence et probablement la vie, car ma douleur mit
longtemps à diminuer et mon souffle autant à revenir. »



                                       
Serge Silberman, né le 1er mai 1917 à Lodz, alors dans l'Empire russe, est un producteur français unique et exemplaire : un producteur artiste.
 Un des seul a pouvoir être comparé aux grands producteurs atypiques hollywoodiens (David Selnick, Alexandre Korda).
Le nom de Silberman est attaché aussi bien aux jeunes turcs des années 50, comme Melville ou Becker, qu’aux grands cinéastes classiques des années 70 : Bunuel , Oshima et Kurosawa. Il fait partie de cette catégorie de producteurs motivés avant tout par les entreprises de cinéastes singuliers.
Quand on lui demandait d'où il sortait cette énergie, cette hargne pour gagner et imposer ses idée, il répondait qu'un homme comme lui né la deuxième fois à Auschwitz, les obstacles financiers lui paraisse de la gnognote.
Et ce n'est pas par hasard qu'il a demandé que ses cendres soient dispersées à Auschwitz. De quelle façon sa vie influença-t-elle sa manière de faire son métier ?
                   Bunuel    Silberman
Après avoir frôlé la mort de si près, plus rien ne lui fait peur, mais il n’a plus guère d’illusions non plus sur la grandeur de l’âme humaine ni envie de prendre des précautions particulières dans les relations sociales... (quand un ministre de De Gaulle lui demanda de censurer « le Journal d’une femme de chambre », il lui demanda ce qu’il faisait pendant la guerre...).